Être céramiste, c'est souvent se lancer dans une aventure pleine d'incertitudes, d’essais, d'erreurs et de doutes. Quand j'ai commencé, tout allait très vite. Trouver un atelier, développer un style qui me plaisait, choisir un nom, une signature...
Tout cela était nécessaire, et je sentais la pression, à la fois pour des raisons économiques et de légitimité. Il fallait avancer, vite, pour pouvoir vivre de ma passion.
Quand j’ai trouvé mon premier atelier, j’étais pleine d’enthousiasme. Le rythme était intense, mais excitant. Je me suis jetée à corps perdu dans la création, tout en sachant que je devais rapidement trouver ce qui me définirait en tant qu’artiste. Cependant, tout cela s'est accompagné d'une certaine précipitation qui, je le réalise aujourd’hui, m'a aussi éloignée de ce qui me ressemblait vraiment.
En rejoignant mon nouvel atelier quelques mois plus tard, les défis ont changé. Je me suis retrouvée à passer plusieurs mois à produire, uniquement pour remplir mon four. Et ce four est grand, très grand. Cela m’a demandé du temps, des efforts et un certain ajustement. J’ai aussi dû recréer mes propres émaux, une tâche qui m’a pris énormément d’énergie. Le plus difficile était que, comme je ne possédais pas encore mon propre atelier, certaines contraintes techniques me sont imposées, notamment la terre et les matières premières que je peux utiliser. Ce changement a perturbé mon processus créatif.
Et puis, est arrivé le moment crucial de la première ouverture du four en juin. J'avais travaillé dur pendant des mois pour en arriver là. Mais lorsque j'ai découvert mes pièces, tout avait changé. Mes émaux étaient complètement différents de ce que j'avais l'habitude de voir. La fatigue s’était accumulée et la déception était immense. J’ai alors pris la décision de faire une pause, de me déconnecter et de profiter de l’été pour me ressourcer.
Pendant ces mois, j'ai trouvé un studio où donner des cours de poterie quatre fois par semaine, ce qui m'a permis de m'assurer un revenu stable pour l'année scolaire. Mais malgré cette sécurité financière, je n’ai pas vraiment pris le temps de réfléchir profondément à ce que je voulais pour ma propre pratique. Je me disais que j’allais profiter de ces vacances pour recharger les batteries et revenir avec une vision plus claire.
Pourtant, à la fin de l'été, ce n'était pas vraiment le cas.
Quand septembre est arrivé, j'ai repris le chemin de l'atelier. Mais en y retournant, je ressentais une boule au ventre. Je me suis retrouvée à refaire les mêmes formes, avec les mêmes émaux, et les mêmes inquiétudes concernant les prochaines cuissons. Ce sentiment d’inquiétude m'a frappée plus fort que jamais. Ce que j’avais entendu de manière récurrente dans le métier – les problèmes de cuisson, les erreurs fréquentes – je l’ai soudain vécu en pleine conscience. C’était une autre étape, et pas la plus facile.
Je savais aussi, au fond de moi, que ce que je produisais ne me ressemblait pas complètement. J'avais l’impression d’être piégée dans une routine qui, si elle me permettait de produire, ne reflétait pas ce que je voulais vraiment exprimer en tant qu'artiste.
C'est un doute profond que beaucoup d'artisans connaissent à un moment donné dans leur parcours : l’impression de se perdre en chemin, de se laisser happer par des impératifs qui nous éloignent de notre véritable voix créative.
Aujourd'hui, je suis encore en pleine réflexion, je navigue et j’essaie de trouver le juste équilibre entre création et introspection. Mon parcours est loin d'être figé, et c’est ce qui le rend si riche et complexe à la fois. J’essaie de comprendre comment m’ancrer dans ce que je veux vraiment faire, sans céder aux pressions extérieures, sans trahir ce qui me parle profondément. L’aventure continue, avec ses hauts et ses bas, et surtout cette volonté de trouver mon équilibre entre la création et les réalités du métier.
Pour les semaines à venir, je vais travailler en "sous-marin", me concentrant sur la conception, le prototypage et la création d’un projet de design qui, je l’espère, sera à mon image. C’est une période de réflexion, de dessin, où je cherche à me reconnecter à ce qui me ressemble vraiment. Je ne peux pas encore en dire beaucoup, mais je suis impatiente de partager ce projet avec vous une fois qu'il sera plus abouti.
Évidemment, je partagerai avec vous mes avancées et mes réflexions au fur et à mesure que je m’engage dans cette nouvelle direction.
Céramiste : entre création et introspection.
Lucie Eleme, septembre 2024
Photos : Arnaud Jolly, Lucie Eleme.
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